Prince
est mort ce matin. Des suites d'une mauvaise grippe à ce qu'il
paraît. J'apprends la nouvelle en fin de journée, à la radio. En
général, je regarde peu la télé. Négligent, je n'ai pas acheté
mon décodeur TNT HD assez tôt et les magasins sont en rupture de
stock, si bien que je n'ai qu'une seule chaîne d'information en
continu, LCI, et c'est sur ce canal que je vois la nouvelle enfler et
prendre toute la place ce jeudi soir.
LCI
est une filiale de TF1, chaîne que je fréquente le moins possible.
Elle pratique néanmoins la décontraction et l'insolence avec une
apparente liberté, et gratuitement on dirait. Ailleurs, ils ont
sûrement incrusté quelques images pour tenir dans le JT. Ici, la
nouvelle est traitée au rythme des connections sur Twitter et
Facebook. Des millions paraît-il. Donc, c'est important. La
disparition de Prince mérite la distorsion, le commentaire du
Premier ministre de la France, le recyclage et la répétition,
et va donc se nourrir d'elle-même pendant des heures avec du frais,
du moins frais, des commentateurs qui vont rester sur le plateau et
causer sans timing avec les mêmes images derrière. Ce soir,
on dirait qu'il ne se passe rien d'autre dans le monde.
Bon,
ça fait quoi la mort de Prince, deuxième roi « de la pop et
du funk » après Michael Jackson ? On le célèbre pour
son génie, son intégrité, son travail de fou, ses talents de
guitariste, ses blanches minerves au cou, son jeu de scène, son
indépendance, sa personnalité fantasque, son mépris des maisons de
disques, son ambiguïté, son art illimité etc. J'entends sa
rivalité avec Michael Jackson. J'entends la tristesse des fans qui
ont perdu aussi David Bowie il y a seulement trois mois, funeste
année... Je n'entends pas le mot « rock ».
Alors
je retourne à mes disques de Prince. J'en ai cinq, des vinyles qui
ne craquent pas, tous achetés entre 1982 et 1987. J'ai suivi Prince
dans les années 80, les meilleures de son art, dit-on. Je ne vais
pas remettre Purple Rain qui passe en boucle sur LCI et
partout dans le monde cette nuit. Ni Parade où se trouve
Kiss, son deuxième tube de tous les temps. Je baisse le
volume de la télé et pose un autre album sur ma platine,
celui dont le titre Around
the World in a Day
est invisible sur la pochette bleue néo-psychédélique. Il
y a cette chanson, Paisley Park, qui porte le nom du studio
que le génie a créé, où il s'est enfermé avec hauteur et un soin
paranoïaque, où il est mort hier si bizarrement. Une chanson que
j'aimais bien car elle sonnait « sixties », grande
prairie révolue avec corps allongés au soleil, une facette méconnue
de l'artiste. Je ne l'ai pas écoutée depuis 30 ans. Je l'aime
toujours, cette chanson.
En
allant plus loin que ces langueurs surannées – ce qu'elles étaient
déjà en 1985 – je retrouve ce penchant moderniste pour la
trituration, les cassures, les nappes de clavier criard, le
bruitage... Ces effets de griffe me vrillaient les nerfs quand
j'avais 25 ans, comme les albums de Bowie période froide, et parfois
ne me faisaient rien du tout. J'achetais les disques de Prince et de
Bowie pour être dans le coup, dans les années 80. Je les écoutais
peu. J'écoutais mieux et bien plus fort Clash, les Ramones, Johnny
Thunders et tous les groupes garage qu'on lisait dans Rock&folk.
Il me semblait cependant que Prince, venu de la soul et du blues,
méritait le respect dans la planète rock, alors que Michael Jackson
ne méritait rien, aucune dépense de ma part en tous cas.
Funky,
sauvage, baroque, kitsch, psychédélique, inattendu et sans
concession, ce prince-là n'était pas comme Johnny Thunders, un
« kid » brisé (de Minneapolis ou d'ailleurs), mais tout
de même une sorte de rocker sombre et décadent quelque part.
Je
n'ai pas changé sur le respect dû à l'artiste. Je vais reparcourir
ses albums, ceux que je possède, et peut-être qu'en 2016, triste à
mon tour, vais-je accéder à des émotions autres que pourpres. On
verra.
Crom21