Guidé
par un ami, j'ai écouté la série d'entretiens avec le sociologue
Eric Fassin sur France Culture, consacrée à Michel Houellebecq (*).
Je
tiens à dire d'entrée que je n'ai pas lu le dernier
Houellebecq, Soumission, absolument pas stimulé par les
attentats contre Charlie Hebdo. Ce n'est pas un
problème ici puisque cette série se propose de saisir l'auteur dans
sa représentation du monde.
Parler
de la littérature en sociologue, c’est un point de vue...
scientifique. Le ton calme, posé, courtois d’Eric Fassin est
d’ailleurs celui d’un scientifique.
Donc
parler de Houellebecq comme d'un symptôme de l’air du temps et non
de son écriture, c’est un point de vue.
Dans
le premier volet, le sociologue s’applique à montrer que malgré
ses dénégations et une certaine évolution dans son dernier livre,
Houellebecq persiste à confondre l’Islam avec le monde arabe et
qu’il est conduit à pousser son islamophobie sur le terrain du
racisme. Exemple : cette burqa cache nécessairement une
maghrébine... Il s’agirait donc, pour Houellebecq, non d'une
dérive religieuse, mais d’un conflit de civilisation enraciné
dans le déclin de l’Occident : il y a eux et... nous.
Dans
le second volet, il y aurait deux manières d’être
anticapitaliste. Celle de la gauche qui part des inégalités et
celle de la droite qui déplore une “perte de spiritualité”.
L’anticapitalisme de Houellebecq, qui joue de la porosité des
frontières entre la gauche et la droite, est assurément de droite :
si la souffrance est partagée par les riches et les pauvres, il n’y
a pas de différences de classe.
Dans
le troisième volet, consacré au genre et à la sexualité, on
trouve une autre variation du mythe du pays perdu chez Houellebecq :
la nostalgie de l’amour pur et gratuit (contre le sexe
marchandise). Sauf que le continuum sexe-marchandise engendre une
double attitude partagée entre le cynisme (polygamie, tourisme
sexuel) et le sentimentalisme. Pire : Houellebecq serait
antiféministe, car refusant aux femmes la fameuse égalité qui
semble l’horizon indépassable des sociologues conséquents.
Le
quatrième volet nous installe sur le terrain de l’écriture mais
toujours vu de l’extérieur. Houellebecq est accusé de se mettre
en scène comme personnage, lequel incarne à la fois la laideur du
monde et le martyre de la littérature, à la manière dont Artaud
(pensant sûrement à lui-même) avait fait de Van Gogh “le suicidé
de la société”... Ce faisant, l’auteur joue avec la fiction,
l’autofiction, genre que ne semble pas goûter Eric Fassin car on
ne sait plus très bien “qui parle”.
Le
dernier volet – toujours sur le même ton froid de courtoisie
scientifique - parachève le procès du vieux singe en lui reprochant
de vouloir gagner sur les deux tableaux : rendre compte du monde
(comme Balzac) sans jamais rendre des comptes, et tant pis pour ceux
“qui ne comprennent rien à la littérature”. Sauf que
Houellebecq n’est pas un maudit mais l’enfant chéri des médias.
Comme Sollers ou Angot, il participe peu ou prou à cette “société
du spectacle” déjà dénoncée par Debord (référence personnelle
mais que le sociologue ne nierait point), laquelle participe
directement au succès du “symptôme” et à sa propagation.
Il
y a beaucoup de choses vraies dans la pensée d’Eric Fassin, qui
explique proprement “comment ça marche”, et quelques-unes, qui
renvoient au mythe socialiste de l’égalité, que je ne commenterai
pas. J’aime bien sa conclusion différentialiste (paradoxale ?) sur
le fait que nous n’appartenons pas tous au même monde alors que le
système essaie de nous faire prendre des vessies pour des lanternes
(ces “grands livres” qui dans dix ans ne seront lus que par des
sociologues...). Pour ma part, je ne tiens pas Houellebecq en haute
estime littéraire, surtout depuis La
Carte et le Territoire, mais
l’essentiel n’est pas là.
L’essentiel
me paraît être, encore et toujours, le problème de la
responsabilité de l’écrivain. Quand je dis “écrivain”, je
parle du romancier ou de l’artiste, pas de l’intellectuel façon
Sartre ou Camus car celui-là, oui, a des comptes à rendre... Mais
je dis que c’est difficile de parler de la littérature “en
sociologue” car précisément l’objet littéraire se suffit
à lui-même. Il ne parle pas du monde mais d’un monde
reconstruit par l’écriture. A partir de là, il y a la bonne et la
mauvaise littérature. Je ne veux pas hiérarchiser les genres et les
sous-genres, les auteurs et les copieurs. Non, Balzac ce n’est pas
que du réalisme, Sollers que du narcissisme, et Matzneff que de la
pédophilie... Pour moi, la littérature est mauvaise quand elle se
pique d’innocence feinte, quand elle recycle et qu’elle imite
sans dire qu’elle le fait, sans surplomber le procédé, bref quand
il n’y a personne, pas de “je”, pas de Proust, pas de Céline,
pas de Robbe-Grillet même, pas de risque ni de musique, mais des
bonbons ou des horreurs.
Voilà.
Si je précise que cet objet m’ennuie s’il n’est pas porté par
un style qui tente de s’approcher du réel (ce résidu qui
fuit...), on comprendra que les belles histoires bien ficelées ne
m’intéressent guère et qu’il m’importe peu d’en connaître
la fin.
Il
y a peut-être mieux à faire que de lire du Houellebecq, même comme
symptôme.
Crom
21
(*)
série de 5 entretiens au sujet de Michel Houellebecq sur France
Culture, du 12 au 16 janvier, dans le cadre de l'émission Un Autre
Jour est Possible, animée par Tewfik Hakem