jeudi 29 janvier 2015

Le romancier et le sociologue


Guidé par un ami, j'ai écouté la série d'entretiens avec le sociologue Eric Fassin sur France Culture, consacrée à Michel Houellebecq (*).

Je tiens à dire d'entrée que je n'ai pas lu le dernier Houellebecq, Soumission, absolument pas stimulé par les attentats contre Charlie Hebdo. Ce n'est pas un problème ici puisque cette série se propose de saisir l'auteur dans sa représentation du monde.

Parler de la littérature en sociologue, c’est un point de vue... scientifique. Le ton calme, posé, courtois d’Eric Fassin est d’ailleurs celui d’un scientifique.

Donc parler de Houellebecq comme d'un symptôme de l’air du temps et non de son écriture, c’est un point de vue.

Dans le premier volet, le sociologue s’applique à montrer que malgré ses dénégations et une certaine évolution dans son dernier livre, Houellebecq persiste à confondre l’Islam avec le monde arabe et qu’il est conduit à pousser son islamophobie sur le terrain du racisme. Exemple : cette burqa cache nécessairement une maghrébine... Il s’agirait donc, pour Houellebecq, non d'une dérive religieuse, mais d’un conflit de civilisation enraciné dans le déclin de l’Occident :  il y a eux et... nous.

Dans le second volet, il y aurait deux manières d’être anticapitaliste. Celle de la gauche qui part des inégalités et celle de la droite qui déplore une “perte de spiritualité”. L’anticapitalisme de Houellebecq, qui joue de la porosité des frontières entre la gauche et la droite, est assurément de droite : si la souffrance est partagée par les riches et les pauvres, il n’y a pas de différences de classe.

Dans le troisième volet, consacré au genre et à la sexualité, on trouve une autre variation du mythe du pays perdu chez Houellebecq : la nostalgie de l’amour pur et gratuit (contre le sexe marchandise). Sauf que le continuum sexe-marchandise engendre une double attitude partagée entre le cynisme (polygamie, tourisme sexuel) et le sentimentalisme. Pire : Houellebecq serait antiféministe, car refusant aux femmes la fameuse égalité qui semble l’horizon indépassable des sociologues conséquents.

Le quatrième volet nous installe sur le terrain de l’écriture mais toujours vu de l’extérieur. Houellebecq est accusé de se mettre en scène comme personnage, lequel incarne à la fois la laideur du monde et le martyre de la littérature, à la manière dont Artaud (pensant sûrement à lui-même) avait fait de Van Gogh “le suicidé de la société”... Ce faisant, l’auteur joue avec la fiction, l’autofiction, genre que ne semble pas goûter Eric Fassin car on ne sait plus très bien “qui parle”.

Le dernier volet – toujours sur le même ton froid de courtoisie scientifique - parachève le procès du vieux singe en lui reprochant de vouloir gagner sur les deux tableaux : rendre compte du monde (comme Balzac) sans jamais rendre des comptes, et tant pis pour ceux “qui ne comprennent rien à la littérature”. Sauf que Houellebecq n’est pas un maudit mais l’enfant chéri des médias. Comme Sollers ou Angot, il participe peu ou prou à cette “société du spectacle” déjà dénoncée par Debord (référence personnelle mais que le sociologue ne nierait point), laquelle participe directement au succès du “symptôme” et à sa propagation.

Il y a beaucoup de choses vraies dans la pensée d’Eric Fassin, qui explique proprement “comment ça marche”, et quelques-unes, qui renvoient au mythe socialiste de l’égalité, que je ne commenterai pas. J’aime bien sa conclusion différentialiste (paradoxale ?) sur le fait que nous n’appartenons pas tous au même monde alors que le système essaie de nous faire prendre des vessies pour des lanternes (ces “grands livres” qui dans dix ans ne seront lus que par des sociologues...). Pour ma part, je ne tiens pas Houellebecq en haute estime littéraire, surtout depuis La Carte et le Territoire, mais l’essentiel n’est pas là.

L’essentiel me paraît être, encore et toujours, le problème de la responsabilité de l’écrivain. Quand je dis “écrivain”, je parle du romancier ou de l’artiste, pas de l’intellectuel façon Sartre ou Camus car celui-là, oui, a des comptes à rendre... Mais je dis que c’est difficile de parler de la littérature “en sociologue” car précisément l’objet littéraire  se suffit à lui-même. Il ne parle pas du monde mais d’un monde reconstruit par l’écriture. A partir de là, il y a la bonne et la mauvaise littérature. Je ne veux pas hiérarchiser les genres et les sous-genres, les auteurs et les copieurs. Non, Balzac ce n’est pas que du réalisme, Sollers que du narcissisme, et Matzneff que de la pédophilie... Pour moi, la littérature est mauvaise quand elle se pique d’innocence feinte, quand elle recycle et qu’elle imite sans dire qu’elle le fait, sans surplomber le procédé, bref quand il n’y a personne, pas de “je”, pas de Proust, pas de Céline, pas de Robbe-Grillet même, pas de risque ni de musique, mais des bonbons ou des horreurs.

Voilà. Si je précise que cet objet m’ennuie s’il n’est pas porté par un style qui tente de s’approcher du réel (ce résidu qui fuit...), on comprendra que les belles histoires bien ficelées ne m’intéressent guère et qu’il m’importe peu d’en connaître la fin.

Il y a peut-être mieux à faire que de lire du Houellebecq, même comme symptôme.

Crom 21


(*) série de 5 entretiens au sujet de Michel Houellebecq sur France Culture, du 12 au 16 janvier, dans le cadre de l'émission Un Autre Jour est Possible, animée par Tewfik Hakem


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