samedi 20 décembre 2014

Retour sur le Saint Laurent de Bonello, finalement écarté de la course aux Oscars 2015


Il y a eu deux films en 2014 sur le cas Saint Laurent : celui que que Pierre Bergé a approuvé et soutenu et celui-ci. Sachant la quasi unanimité des critiques à sa sortie, en septembre, on s'attendait à un grand film d'auteur. C'est un film d'auteur, d'une réelle beauté formelle - pas un simple biopic - mais ce n'est pas un chef-d'oeuvre.

L'ennui, c'est moins la longueur que l'immobilité. Entre 67 et 77, la période choisie, il n'y a pas de progression, de dégradation, de chute mais une collection de scènes. Celles qui nous montrent les ateliers, la gravité, la tension, l'exigence, la modestie, sont très justes, mais aucun personnage n'en  ressort illuminé. La grande blonde de chez Chanel qui va finir par rejoindre Yves est admirablement filmée sur un dancefloor de l'époque Creedence : c'est une épiphanie, on comprend qu'il la veut pour porter ses modèles, mais son personnage est à peine esquissé. Il y a d'autres scènes dansantes, moins impérieuses, qui se répètent inutilement. Les scènes de débauche homo branchée sont assez sobres, comme les enfilades dans les bosquets et les carrières, mais d'une froideur chimique, sous-occupées par un Louis Garrel hispanisé par une moustache belle-époque, amant cynique mais flasque et évasif. Ce n'est toujours pas un personnage. Le chien qui crève sur la moquette parce qu'il a avalé les pilules des amants n'est ni triste ni drolatique, c'est juste une métaphore de ce qui attend son maître. Helmut Berger jouant le vieux Saint Laurent au bord de la fin est une incursion pesante dans le futur qui détraque la composition.

Il y a peu de mots, pas de point de vue de l'artiste sur son art qui est aussi une industrie car il faut sortir deux collections par an et c'est bien le problème de Saint Laurent, qui ne dit pourtant rien là-dessus. Il en dit plus sur le sexe, à peu près ceci : je m'intéresse aux corps sans âme car l'âme est ailleurs. C'est une phrase forte, qui explique peut-être pourquoi le doux Michel Foucault fréquentait les backrooms, mais c'est une des seules mémorisables.

On dira que la composition de l'acteur est convaincante. Oui : le physique, les vêtements, les manières, la faiblesse, l'amoralité, la délicatesse, l'impuissance, le timbre de voix... Mais on ne le voit pas changer au fil des collections. Ce type boit et fume nuit et jour, se drogue autant, et il conserve sa maigreur musculeuse et son teint frais pendant dix ans. Il y a comme une insistance névrotique du verre à la main et de la cigarette aux lèvres, mais sans conséquence directe sur l'évolution du sujet YSL. On se dit alors que Bonello devrait arrêter de fumer et de boire, ou plutôt cesser de fixer un mythe qui boit et fume comme Bonello... Alors on verrait quelqu'un bouger au fond du verre et l'Histoire s'accomplir. On sortirait du fatum, de l'éternel retour, des postures archétypales. Oui, c'est cela qu'on aimerait qu'il filme Bonello : le lien entre la chute d'un corps et le côté dérisoire de la mode, comment ça peut détruire un artiste de s'en douter au début puis de le savoir vraiment. Alors seulement, on pourrait entrer dans l'humanité de Saint Laurent, mais Bonello filme autre chose : les paquets de clopes, les éclairages, les fauteuils du sexe, les métrages de tissu et, un peu, les femmes qui défilent, leur buste, leurs pieds, mais pas beaucoup leurs jambes. Ou plutôt la même paire de jambes, même pas belles et sans propriétaire...

Finalement, on se demande ce que Bonello a voulu montrer en plus du cinéma qu'il sait faire avec les outils du peintre et du sculpteur. Ce film n'est pas trop long, il manque de rythme et cherche la grâce dans des tableaux périphériques, évitant soigneusement d'expliquer le « parcours » Saint Laurent. Du coup, on s'en fout un peu, de ce grand couturier dépressif. Ce refus de la psychologie n'a vraiment rien de proustien...

Crom21


vendredi 19 décembre 2014

Déambulations d'un soir


Voir autre chose. Changer d’horizon(s). Aller plus à l’Est et au Nord. Passer la Seine. Arpenter d’autres rues, méconnues ou complètement inconnues, parfois. Nous étions deux ou trois.

Le point de départ était ce bar Les Antiquaires, un nom à la saveur du quartier qui  mêle la nostalgie des vieilleries (à vendre à l'Hôtel Drouot) au joyeux bordel des fêtes alentours, à la jonction entre étudiants arrivant au bout du chemin et jeunes diplômés qui en empruntent un nouveau. Installés au comptoir, nous observons cette foule bruyante et festoyante. Dans un coin, au bout du bar, un homme et deux femmes nous dévisagent à plusieurs reprises. Un sentiment bizarre vous envahit alors quand vous passez soudain du statut d’observateur à celui d’observé. Le retour du reflet en quelque sorte. Au moment de partir, sur le pas de la porte, une de ces femmes justement se colle à moi, en trouvant la pluie comme excuse. Malgré sa belle robe rouge qui accompagne ses cheveux blonds, je n’arrive pas à trouver l’envie de lui lâcher trois mots. Je lui laisse finalement fumer sa cigarette, seule. Nous avons d’autres choses à voir, à commenter, point le temps de s’attarder, il faut avancer.

Après quelques rues déambulées, devenues piétonnes par la force de la nuit, nous voilà rue du Faubourg-Saint-Denis avec toute sa faune hétéroclite. Un sentiment bizarre de cour des miracles moderne où tout est possible mais surtout où tout est vivant me vient soudain. C’est plaisant, parfois inquiétant. Nous pénétrons au Château rouge, bar atypique mais représentatif du quartier et de son esprit. Qu’à cela ne tienne, nous faisons tomber trois bières. Il faut aussi parfois s’enivrer pour observer. Ce Château rouge a quelque chose d’amusant, comme cette caisse d'un autre âge qui trône sur le zinc, et de différent ; le prix des pintes est en effet plus accueillant. Nous sortons fumer, à nouveau, le temps d’aborder un homme, hirsute d’apparence (la barbe faisant toujours son effet ici), qui se révèle un comédien plutôt jovial. Il nous parle du quartier, des bars avoisinants, de son boulot, on évoque vaguement New York aussi. La nuit et ses paroles vous transportent souvent d’un bout à l’autre du globe. Nous avons l'intention de finir Chez Jeannette, autre bar branché du quartier que le gentil barbu nous a auparavant recommandé. A Roman qui me devance, un homme nous lance : « Vous luttez pour entrer écouter du Dany Brillant, bravo ! » Il est vrai que la foule qui patiente commence à devenir oppressante. Il est juste aussi que l’ambiance à l’intérieur ne nous emballe pas. Un pied dedans, l’autre dehors, il est donc déjà temps de repartir.

Nous nous mettons en route vers Saint-Germain. La nuit avance, nous avec. Et dans la cour du Louvre, le temps est encore de notre côté. L'œil de la pyramide est bienveillant. Nous ne faisons pas encore partie de « la France qui se lève tôt ». Demain sera long comme cette nuit.

Direction Chai Antoine, la seule boîte accessible qui nous ouvre toujours sa porte bleu mer du Sud. On entre là-bas comme on va au club après la plage, ou comme on descend dans sa cave... Les escaliers sont étroits, au bout s'échappe un mélange indélicat de sueur, d'alcool, et une pointe de vomi entre le comptoir et les toilettes. C'est l'endroit où les étudiants aiment beugler sur des tubes bien désuets, en levant leur verre à Claude François. La seule blonde au visage de châtelaine porte un tablier Beaujolais Nouveau, et chante avec tout son cœur sur Céline Dion. Pendant ce temps, on bataille pour commander une bière qui a repris son plein tarif, évitant celle qui tangue dangereusement dans les mains du voisin. Enfin, le chant du départ résonne : Dany Brillant s’invite sur la playlist, le revoilà, mais on ne lutte plus, on reprend l'escalier, dans le sens de la montée, les yeux fixés sur le panneau « Exit ».

TL-RM




Pourquoi ce blog « des branches et des singes » ?


Quasi-quotidiennement, une foule de phénomènes – risibles, merveilleux, affligeants, inexplicables de prime abord - chatouille notre curiosité et nous remue la tête. Mimique empruntée, soirée ratée, rencontre joyeuse, phrase savoureuse ou désolante, singerie-écran ou authentique singularité naissent en ville ou dans les champs ... Derrière eux, signes des temps, peuvent se cacher nos mythologies actuelles.

On en parle assis dans un troquet, debout dans une cuisine, en marchant dans la rue, on essaie d'en décrypter le sens, en déshabillant les formes. On tombe souvent d'accord, mais c'est insuffisant. Impossible de trop développer, c'est décousu et on oublie. A l'oral, les idées s'envolent, se compriment, doivent se dire vite avant que les portes du métro ne se referment. Ecrites, elles ont toujours le temps, et s'affolent moins.

Voici quelques billets d'humeur sur des branches en vogue, et des singes qui s'y raccrochent, ricanent, s'y mirent. Les jungles urbaines nous offrent mille raisons d'être des imitateurs parés d'objets connectés en recherche de distinction. Mais quand nos singeries se prennent trop au sérieux, il est aussi bon de nous débrancher, ou du moins de s'avouer monkey men...

                                                                                                                                          RM, TL