vendredi 19 décembre 2014

Déambulations d'un soir


Voir autre chose. Changer d’horizon(s). Aller plus à l’Est et au Nord. Passer la Seine. Arpenter d’autres rues, méconnues ou complètement inconnues, parfois. Nous étions deux ou trois.

Le point de départ était ce bar Les Antiquaires, un nom à la saveur du quartier qui  mêle la nostalgie des vieilleries (à vendre à l'Hôtel Drouot) au joyeux bordel des fêtes alentours, à la jonction entre étudiants arrivant au bout du chemin et jeunes diplômés qui en empruntent un nouveau. Installés au comptoir, nous observons cette foule bruyante et festoyante. Dans un coin, au bout du bar, un homme et deux femmes nous dévisagent à plusieurs reprises. Un sentiment bizarre vous envahit alors quand vous passez soudain du statut d’observateur à celui d’observé. Le retour du reflet en quelque sorte. Au moment de partir, sur le pas de la porte, une de ces femmes justement se colle à moi, en trouvant la pluie comme excuse. Malgré sa belle robe rouge qui accompagne ses cheveux blonds, je n’arrive pas à trouver l’envie de lui lâcher trois mots. Je lui laisse finalement fumer sa cigarette, seule. Nous avons d’autres choses à voir, à commenter, point le temps de s’attarder, il faut avancer.

Après quelques rues déambulées, devenues piétonnes par la force de la nuit, nous voilà rue du Faubourg-Saint-Denis avec toute sa faune hétéroclite. Un sentiment bizarre de cour des miracles moderne où tout est possible mais surtout où tout est vivant me vient soudain. C’est plaisant, parfois inquiétant. Nous pénétrons au Château rouge, bar atypique mais représentatif du quartier et de son esprit. Qu’à cela ne tienne, nous faisons tomber trois bières. Il faut aussi parfois s’enivrer pour observer. Ce Château rouge a quelque chose d’amusant, comme cette caisse d'un autre âge qui trône sur le zinc, et de différent ; le prix des pintes est en effet plus accueillant. Nous sortons fumer, à nouveau, le temps d’aborder un homme, hirsute d’apparence (la barbe faisant toujours son effet ici), qui se révèle un comédien plutôt jovial. Il nous parle du quartier, des bars avoisinants, de son boulot, on évoque vaguement New York aussi. La nuit et ses paroles vous transportent souvent d’un bout à l’autre du globe. Nous avons l'intention de finir Chez Jeannette, autre bar branché du quartier que le gentil barbu nous a auparavant recommandé. A Roman qui me devance, un homme nous lance : « Vous luttez pour entrer écouter du Dany Brillant, bravo ! » Il est vrai que la foule qui patiente commence à devenir oppressante. Il est juste aussi que l’ambiance à l’intérieur ne nous emballe pas. Un pied dedans, l’autre dehors, il est donc déjà temps de repartir.

Nous nous mettons en route vers Saint-Germain. La nuit avance, nous avec. Et dans la cour du Louvre, le temps est encore de notre côté. L'œil de la pyramide est bienveillant. Nous ne faisons pas encore partie de « la France qui se lève tôt ». Demain sera long comme cette nuit.

Direction Chai Antoine, la seule boîte accessible qui nous ouvre toujours sa porte bleu mer du Sud. On entre là-bas comme on va au club après la plage, ou comme on descend dans sa cave... Les escaliers sont étroits, au bout s'échappe un mélange indélicat de sueur, d'alcool, et une pointe de vomi entre le comptoir et les toilettes. C'est l'endroit où les étudiants aiment beugler sur des tubes bien désuets, en levant leur verre à Claude François. La seule blonde au visage de châtelaine porte un tablier Beaujolais Nouveau, et chante avec tout son cœur sur Céline Dion. Pendant ce temps, on bataille pour commander une bière qui a repris son plein tarif, évitant celle qui tangue dangereusement dans les mains du voisin. Enfin, le chant du départ résonne : Dany Brillant s’invite sur la playlist, le revoilà, mais on ne lutte plus, on reprend l'escalier, dans le sens de la montée, les yeux fixés sur le panneau « Exit ».

TL-RM



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