Voir autre chose. Changer d’horizon(s). Aller plus à l’Est et au Nord. Passer la Seine. Arpenter d’autres rues, méconnues ou complètement inconnues, parfois. Nous étions deux ou trois.
Le
point de départ était ce bar Les Antiquaires, un nom à
la saveur du quartier qui mêle la nostalgie des
vieilleries (à vendre à l'Hôtel Drouot) au joyeux bordel des fêtes
alentours, à la jonction entre étudiants arrivant au bout du chemin
et jeunes diplômés qui en empruntent un nouveau. Installés au
comptoir, nous observons cette foule bruyante et festoyante. Dans un
coin, au bout du bar, un homme et deux femmes nous dévisagent à
plusieurs reprises. Un sentiment bizarre vous envahit alors quand
vous passez soudain du statut d’observateur à celui d’observé.
Le retour du reflet en quelque sorte. Au moment de partir, sur le pas
de la porte, une de ces femmes justement se colle à moi, en trouvant
la pluie comme excuse. Malgré sa belle robe rouge qui accompagne ses
cheveux blonds, je n’arrive pas à trouver l’envie de lui lâcher
trois mots. Je lui laisse finalement fumer sa cigarette, seule. Nous
avons d’autres choses à voir, à commenter, point le temps de
s’attarder, il faut avancer.
Après
quelques rues déambulées, devenues piétonnes par la force de la
nuit, nous voilà rue du Faubourg-Saint-Denis avec toute sa faune
hétéroclite. Un sentiment bizarre de cour des miracles moderne où
tout est possible mais surtout où tout est vivant me vient soudain.
C’est plaisant, parfois inquiétant. Nous pénétrons au Château
rouge, bar atypique mais représentatif du quartier et de son
esprit. Qu’à cela ne tienne, nous faisons tomber trois bières. Il
faut aussi parfois s’enivrer pour observer. Ce Château rouge a
quelque chose d’amusant, comme cette caisse d'un autre âge qui
trône sur le zinc, et de différent ; le prix des pintes est en
effet plus accueillant. Nous sortons fumer, à nouveau, le temps
d’aborder un homme, hirsute d’apparence (la barbe faisant
toujours son effet ici), qui se révèle un comédien plutôt jovial.
Il nous parle du quartier, des bars avoisinants, de son boulot, on
évoque vaguement New York aussi. La nuit et ses paroles vous
transportent souvent d’un bout à l’autre du globe. Nous avons
l'intention de finir Chez Jeannette, autre bar branché du
quartier que le gentil barbu nous a auparavant recommandé. A Roman
qui me devance, un homme nous lance : « Vous luttez pour
entrer écouter du Dany Brillant, bravo ! » Il est vrai
que la foule qui patiente commence à devenir oppressante. Il est
juste aussi que l’ambiance à l’intérieur ne nous emballe pas.
Un pied dedans, l’autre dehors, il est donc déjà temps de
repartir.
Nous
nous mettons en route vers Saint-Germain. La nuit avance, nous avec.
Et dans la cour du Louvre, le temps est encore de notre côté. L'œil
de la pyramide est bienveillant. Nous ne faisons pas encore partie de
« la France qui se lève tôt ». Demain sera long comme
cette nuit.
Direction Chai
Antoine, la seule boîte accessible qui nous ouvre toujours sa
porte bleu mer du Sud. On entre là-bas comme on va au club après la
plage, ou comme on descend dans sa cave... Les escaliers sont
étroits, au bout s'échappe un mélange indélicat de sueur,
d'alcool, et une pointe de vomi entre le comptoir et les toilettes.
C'est l'endroit où les étudiants aiment beugler sur des tubes bien
désuets, en levant leur verre à Claude François. La seule blonde
au visage de châtelaine porte un tablier Beaujolais Nouveau,
et chante avec tout son cœur sur Céline Dion. Pendant ce temps, on
bataille pour commander une bière qui a repris son plein tarif,
évitant celle qui tangue dangereusement dans les mains du voisin.
Enfin, le chant du départ résonne : Dany Brillant s’invite sur la
playlist, le revoilà, mais on ne lutte plus, on reprend
l'escalier, dans le sens de la montée, les yeux fixés sur le
panneau « Exit ».
TL-RM
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