La
France n'a jamais autant aimé sa police. En témoigne cette
embrassade filmée par France 2 entre un manifestant armé d'une
pancarte « Je suis Juif, je suis Charlie » et un CRS noir au
coin d'un boulevard. Devant l'élan du civil, le sourire du gardien
de l'ordre hésitait, il était timide comme retenu par sa fonction,
la conscience de l'uniforme, ce gilet pare-balles marine qui
grossissait son buste.
Le
CRS est formé pour contenir les débordements, neutraliser les
violences, ramener l'ordre public, mais que peut-il faire contre
l'élan d'amour d'un manifestant qui lui tend la main pour le
remercier ? Il a dû sentir des picotements sous son calot mais
a fini par serrer la main du citoyen, puis se laisser embrasser ;
la placidité de son visage s'est effondrée progressivement :
un rictus, un sourire, puis enfin un rire bien franc, blanc. La
raideur de la matraque a fondu en une souplesse joyeuse, quelques
instants.
Un
peu plus tôt, la cohorte des chefs d'Etat, François Hollande le
premier, levait les yeux aux balcons pour saluer les résidents des
immeubles du boulevard, mais aussi les tireurs d'élite postés sur
les toits. On perçoit l'anxiété des regards dans le cortège qui
marche, puis s'arrête, puis reprend sa marche ; chaque pas dans
l'air bleu de janvier brave la menace mais représente aussi un mètre
conquis sur les cinq cents à parcourir, une seconde de plus sans
crépitement de balles. On redoute à tout moment une faille dans le
dispositif de sécurité, des tirs de kalachnikov à hauteur des
responsables politiques, que les mains fraternelles ne se séparent
dans la panique. De cette crainte qui fait trembler le temps,
fascination du pire qui effraie mais excite aussi, naît l'amour pour
les forces de l'ordre. Taxés naguère de SS, ils sont aujourd'hui
les héros protecteurs de la liberté d'expression, nos coeurs
républicains ; ils nous veulent du bien et oeuvrent pour la
sérénité de nos existences normales.
Mais
demain, sans meurtrier menaçant nos consciences, nos corps, nos
biens, les policiers resteront-ils longtemps nos héros ou se
rendra-t-on compte que la volonté d'être bien en sécurité dans
son petit chez-soi-bien-gentil-bien-gardé n'est pas un idéal de
liberté suffisant ? Il n'est pas du domaine policier de nous tirer
de notre apathie connectée, de faciliter le libertinage des idées,
et de dissoudre l'esprit de clan qui fait vivre de nombreux poseurs
mais aussi communautarise de nombreux isolés. Ce qui est beau dans
cette manifestation d'ampleur, et non pas « bisounours »
comme je l'ai entendu de la part d'un professeur de musique, c'est la
ferveur des épaules qui se touchent et marchent ensemble pour un
autre idéal que le Paris musée, branché, mesquin des vitrines de
magasins, clubs très privés pour Véritables Imbéciles Potentiels,
patrimoine richement décoré, poses dans les cafés, débris de
conversation segmentante, obéissance aux codes d'un quartier,
obsession du style, écouteur sur les oreilles, extinction des voix,
je ne te connais pas mais regarde-moi en silence, chut !...
Non,
ce rassemblement défend une cause supérieure à nous-mêmes, nos
fins de mois, nos objets chéris, nos fêtes obligatoires, nos
jalousies sociales, nos souffrances économiques, que l'idéal
consumériste , le divertissement narcissique et les mimiques
politiciennes ne peuvent soigner. Pour ne pas laisser aux fanatiques
le monopole de la cause supérieure.
RM
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