dimanche 11 janvier 2015

La France aime sa police


La France n'a jamais autant aimé sa police. En témoigne cette embrassade filmée par France 2 entre un manifestant armé d'une pancarte « Je suis Juif, je suis Charlie » et un CRS noir au coin d'un boulevard. Devant l'élan du civil, le sourire du gardien de l'ordre hésitait, il était timide comme retenu par sa fonction, la conscience de l'uniforme, ce gilet pare-balles marine qui grossissait son buste.

Le CRS est formé pour contenir les débordements, neutraliser les violences, ramener l'ordre public, mais que peut-il faire contre l'élan d'amour d'un manifestant qui lui tend la main pour le remercier ? Il a dû sentir des picotements sous son calot mais a fini par serrer la main du citoyen, puis se laisser embrasser ; la placidité de son visage s'est effondrée progressivement : un rictus, un sourire, puis enfin un rire bien franc, blanc. La raideur de la matraque a fondu en une souplesse joyeuse, quelques instants.

Un peu plus tôt, la cohorte des chefs d'Etat, François Hollande le premier, levait les yeux aux balcons pour saluer les résidents des immeubles du boulevard, mais aussi les tireurs d'élite postés sur les toits. On perçoit l'anxiété des regards dans le cortège qui marche, puis s'arrête, puis reprend sa marche ; chaque pas dans l'air bleu de janvier brave la menace mais représente aussi un mètre conquis sur les cinq cents à parcourir, une seconde de plus sans crépitement de balles. On redoute à tout moment une faille dans le dispositif de sécurité, des tirs de kalachnikov à hauteur des responsables politiques, que les mains fraternelles ne se séparent dans la panique. De cette crainte qui fait trembler le temps, fascination du pire qui effraie mais excite aussi, naît l'amour pour les forces de l'ordre. Taxés naguère de SS, ils sont aujourd'hui les héros protecteurs de la liberté d'expression, nos coeurs républicains ; ils nous veulent du bien et oeuvrent pour la sérénité de nos existences normales.

Mais demain, sans meurtrier menaçant nos consciences, nos corps, nos biens, les policiers resteront-ils longtemps nos héros ou se rendra-t-on compte que la volonté d'être bien en sécurité dans son petit chez-soi-bien-gentil-bien-gardé n'est pas un idéal de liberté suffisant ? Il n'est pas du domaine policier de nous tirer de notre apathie connectée, de faciliter le libertinage des idées, et de dissoudre l'esprit de clan qui fait vivre de nombreux poseurs mais aussi communautarise de nombreux isolés. Ce qui est beau dans cette manifestation d'ampleur, et non pas « bisounours » comme je l'ai entendu de la part d'un professeur de musique, c'est la ferveur des épaules qui se touchent et marchent ensemble pour un autre idéal que le Paris musée, branché, mesquin des vitrines de magasins, clubs très privés pour Véritables Imbéciles Potentiels, patrimoine richement décoré, poses dans les cafés, débris de conversation segmentante, obéissance aux codes d'un quartier, obsession du style, écouteur sur les oreilles, extinction des voix, je ne te connais pas mais regarde-moi en silence, chut !...

Non, ce rassemblement défend une cause supérieure à nous-mêmes, nos fins de mois, nos objets chéris, nos fêtes obligatoires, nos jalousies sociales, nos souffrances économiques, que l'idéal consumériste , le divertissement narcissique et les mimiques politiciennes ne peuvent soigner. Pour ne pas laisser aux fanatiques le monopole de la cause supérieure.

RM




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