mercredi 4 mars 2015

Les fugueuses d'avant


Je connais un magasin en province qui vend des DVD à prix cassé. C’est un couloir où on se frôle, se hume, se marche sur les pieds en disant pardon. Il y a de tout, des séries, des japanimes, des blockbusters qui auraient dû marcher, des Rohmer, des péplums, des déchets de la Nouvelle Vague.

J’ai acheté l'autre jour, pour 10 € en édition prestige, un biopic sur les Runaways présenté à Deauville en 2010. J’avais le souvenir d’avoir lu quelque chose de positif sur ce film retraçant l’ascension de cinq jeunes filles rebelles il y a bien longtemps, vers 75. Positif au sens : film rock, baby, supervisé par Joan Jett elle-même, et pas film sur le rock.

Vers 75, la mode des girl bands, façon Ronettes ou Shangri Las, est passée depuis longtemps. Pas celle des producteurs fous. On veut nous montrer ici comment Kim Fowley, plus fou, démoniaque, maquillé, pornocrate, opportuniste que Spector, a transformé cinq gamines de 15 ans en tigresses à guitares. Au sommet elles sont allées, et pas un seul mec dans le groupe, juste un chef cinglé qui tire les ficelles. Assez tôt elles ont explosé : drogue, dissensions, rébellion retournée contre leur mentor, envie de papa-maman qui ne valent pourtant rien comme modèle de couple. Le propos du film, chute inévitable mais pas indigne en plein conformisme électro-pop, c’est à peu près ça.

Au lieu de quoi, on a une recomposition lourdement fidèle, dédouanée de toute fausseté par la consultante. On voit les efforts surjoués du tyran pour greffer des couilles à ses nymphettes. On les voit dans une vieille caravane se faire insulter, maltraiter ; déguisées en putes, transformées en poupées sexuelles, courant dans les bois, les drugstores, les chiottes, la blonde dépressive au bord de tout, la brune décidée en gardienne du temple rock. Elles boivent et sniffent, bien sûr. On en voit une qui pisse sur des guitares dans un studio, on voit sa jumelle qui se branle avec un pommeau de douche – on ne la voit pas vraiment derrière le rideau. Une portière s’ouvre, un corps s’effondre, ivre-mort : c’est le père de Cherie, la chanteuse. Il y a vraiment de quoi fuir à Lesbos…

Sex, drugs & rock’n’roll : tout y est. Mieux que les dance-floor et les bitures express d’aujourd’hui. Elégance démolie de naguère. Le côté sauvage de l’affaire. On aimerait y re-croire. Rien n’y est : c’est épais, clinquant, convenu, brillant de clichés. C’est du contreplaqué mythologique. A part sur Cherry Bomb, on ne les voit pas au travail, entre elles, occupées à créer la putain de forme du rock extrême féminin. Et c’est très dommage car la piste son est bonne. Heavy cependant. Ce n’est que du hard rock à tétons.

Quand on voit un tel film, on comprend pourquoi les amateurs de musique savante se rient éternellement des rockeurs incendiaires. Alors on se dit que, peut être, ce n’est pas seulement le film, mais le rock tout entier qu’il faudrait jeter. Que ce n’était pas la peine de faire autant de bruit pour rien. Mais là, on se laisse aller, on perd l’essentiel : la défense, l’amour vrai de cette odieuse musique de la seconde moitié du XXème siècle.

D’ailleurs, il suffit d’aller sur YouTube pour retrouver la vraie Cherie de 77. C’est une méchante vidéo japonaise usée. Ce n’est pas rien. Au milieu de la scène se trouve une blonde hardie et fière qui occupe les rêves du troisième sexe avec son corps, qui maîtrise l’animalité comme Iggy Pop. Tchch, tchch, tchch… Si jeune… On reste confondu par tant d’assurance.

Ce qui est vulgaire, ce n’est pas le rock, c’est le poids de sa représentation par des gens qui s’appliquent à forcer ses effets. C’est habiller des individus avec certaines manières importées d’un genre où se lit, acteurs innocents, producteurs malins et acheteurs confondus, une très vieille fascination pour le déclin. C’est l’application des faiseurs à nous présenter vulgairement cette attirance sombre et pure comme la geste unique rock’n’rollienne.

Il y aurait à dire sur les rock stars qui ne sont pas mortes et qui vivent encore, artistiquement.

De bons films sur le rock, il y en a. Voyez Control sur la vie et la mort de Ian Curtis (1956-1980), le chanteur de Joy Division. C’est passé sur Arte, en août 2012. Ce pourrait être une variation complaisante sur le rock épileptique et la table à langer. C’est l’engagement coupable et la sortie trop rapide d’un jeune homme qui touche les limites de son art. Et le manager est cyniquement correct. Et le noir et blanc est chaleureux. Et l’acteur qui joue Curtis est exténuant de vérité.

Crom21



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