Je
connais un magasin en province qui vend des DVD à prix cassé. C’est
un couloir où on se frôle, se hume, se marche sur les pieds en
disant pardon. Il y a de tout, des séries, des japanimes, des
blockbusters qui auraient dû marcher, des Rohmer, des péplums, des
déchets de la Nouvelle Vague.
J’ai
acheté l'autre jour, pour 10 € en édition prestige, un
biopic sur les Runaways présenté à Deauville en 2010. J’avais le
souvenir d’avoir lu quelque chose de positif sur ce film retraçant
l’ascension de cinq jeunes filles rebelles il y a bien longtemps,
vers 75. Positif au sens : film rock, baby, supervisé
par Joan Jett elle-même, et pas film sur le rock.
Vers
75, la mode des girl bands, façon Ronettes ou Shangri Las,
est passée depuis longtemps. Pas celle des producteurs fous. On veut
nous montrer ici comment Kim Fowley, plus fou, démoniaque, maquillé,
pornocrate, opportuniste que Spector, a transformé cinq gamines de
15 ans en tigresses à guitares. Au sommet elles sont allées, et pas
un seul mec dans le groupe, juste un chef cinglé qui tire les
ficelles. Assez tôt elles ont explosé : drogue, dissensions,
rébellion retournée contre leur mentor, envie de papa-maman qui ne
valent pourtant rien comme modèle de couple. Le propos du film,
chute inévitable mais pas indigne en plein conformisme
électro-pop, c’est à peu près ça.
Au
lieu de quoi, on a une recomposition lourdement fidèle, dédouanée
de toute fausseté par la consultante. On voit les efforts surjoués
du tyran pour greffer des couilles à ses nymphettes. On les voit
dans une vieille caravane se faire insulter, maltraiter ;
déguisées en putes, transformées en poupées sexuelles, courant
dans les bois, les drugstores, les chiottes, la blonde dépressive au
bord de tout, la brune décidée en gardienne du temple rock. Elles
boivent et sniffent, bien sûr. On en voit une qui pisse sur des
guitares dans un studio, on voit sa jumelle qui se branle avec un
pommeau de douche – on ne la voit pas vraiment derrière le
rideau. Une portière s’ouvre, un corps s’effondre, ivre-mort :
c’est le père de Cherie, la chanteuse. Il y a vraiment de quoi
fuir à Lesbos…
Sex,
drugs & rock’n’roll : tout y est. Mieux que les
dance-floor et les bitures express d’aujourd’hui. Elégance
démolie de naguère. Le côté sauvage de l’affaire. On aimerait y
re-croire. Rien n’y est : c’est épais, clinquant, convenu,
brillant de clichés. C’est du contreplaqué mythologique. A part
sur Cherry Bomb, on ne les voit pas au travail, entre elles,
occupées à créer la putain de forme du rock extrême féminin. Et
c’est très dommage car la piste son est bonne. Heavy cependant. Ce
n’est que du hard rock à tétons.
Quand
on voit un tel film, on comprend pourquoi les amateurs de musique
savante se rient éternellement des rockeurs incendiaires. Alors on
se dit que, peut être, ce n’est pas seulement le film, mais le
rock tout entier qu’il faudrait jeter. Que ce n’était pas la
peine de faire autant de bruit pour rien. Mais là, on se laisse
aller, on perd l’essentiel : la défense, l’amour vrai de
cette odieuse musique de la seconde moitié du XXème siècle.
D’ailleurs,
il suffit d’aller sur YouTube pour retrouver la vraie Cherie de 77.
C’est une méchante vidéo japonaise usée. Ce n’est pas rien. Au
milieu de la scène se trouve une blonde hardie et fière qui occupe
les rêves du troisième sexe avec son corps, qui maîtrise
l’animalité comme Iggy Pop. Tchch, tchch, tchch… Si jeune… On
reste confondu par tant d’assurance.
Ce
qui est vulgaire, ce n’est pas le rock, c’est le poids de sa
représentation par des gens qui s’appliquent à forcer ses effets.
C’est habiller des individus avec certaines manières importées
d’un genre où se lit, acteurs innocents, producteurs malins et
acheteurs confondus, une très vieille fascination pour le déclin.
C’est l’application des faiseurs à nous présenter vulgairement
cette attirance sombre et pure comme la geste unique
rock’n’rollienne.
Il
y aurait à dire sur les rock stars qui ne sont pas mortes et qui
vivent encore, artistiquement.
De
bons films sur le rock, il y en a. Voyez Control sur la vie et
la mort de Ian Curtis (1956-1980), le chanteur de Joy Division. C’est
passé sur Arte, en août 2012. Ce pourrait être une variation
complaisante sur le rock épileptique et la table à langer. C’est
l’engagement coupable et la sortie trop rapide d’un jeune homme
qui touche les limites de son art. Et le manager est cyniquement
correct. Et le noir et blanc est chaleureux. Et l’acteur qui joue
Curtis est exténuant de vérité.
Crom21
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