J'étais
assis une fois de plus dans le métro aérien ligne 6, lisant par
bribes des aphorismes de Nietzsche, quand derrière moi un faible
accordéon vint souffler un air populaire guilleret que je ne sus
identifier. Il faisait beau dehors, le bleu de 13 heures promettait
plus d'enthousiasme que la veille. Les étudiants croquaient leurs
sandwichs dans ce février froid, avec des bonnets de couleur sur la
tête. Me sont revenues quelques phrases élogieuses de cette amie en
philo sur son professeur tellement charismatique.
Ses yeux déjà très clairs demandaient à être éblouis, à
admirer une maturité accomplie, faite de grands textes et de petits
riens. A cet instant du métro où l'accordéon jouait, à cette même
heure, pourquoi pas assise devant moi, elle aurait trouvé poétiques
les sonorités folklo-kitsch de l'instrument se mêlant au cours du
professeur qui résonnait encore dans sa tête. C'eût été un
espoir de vibrations à l'ancienne dans le Paris du milieu du XXème
siècle, bonnet ou béret sur la tête, manteau grosse laine,
cultivant quelque innocence sur le trajet qui mène chaque matin du
studio bordélique à l'amphi austère dominé par son orateur. Il
aurait pu être là lui aussi, dans ce métro, tenant la barre
graissée par les mains du peuple, avec son chapeau et son sobre
trench, et rattrapant par sa pensée adroite toute la raideur de son
corps.
Le
dernier prof de philo que j'ai approché avait des pellicules
visibles à trois mètres, et bien sûr les cheveux en bataille, de
grosses chaussures, un jean trop court... et j'aimerais ne pas écrire
« bien sûr » pour démentir le prototype de
l'intellectuel négligé. J'aurais aimé que l'étudiante arrête à
temps l'éloge de ce professeur, et m'épargne l'étalage de son
désir de soumission. Je me souviens de cette jolie et inquiétante
formule de BHL, « Le maître est l'autre nom du monde »,
titre du deuxième chapitre de La Barbarie à visage
humain, essai controversé paru en 1977. Elle se retient
facilement puisqu'elle est lyrique et musicale. Elle me revient dans
les moments où j'y pense le moins, quand je fais la cuisine par
exemple. C'est une idée intéressante, je trouve, de penser que le
maître est un « idéal du moi » dont le centre est
partout et la circonférence nulle part. En reprenant le concept de
Freud pour penser le Pouvoir, BHL m'a plongé dans la psychanalyse.
Il y a des correspondances secrètes... Mais non, comme prévu et
maintes fois observé, dès que ces initiales furent prononcées, la
belle s'est récriée, à la suite des détracteurs de 77 et des
contempteurs des trois dernières décennies : « Il est
inauthentique ce mec, c'est un philosophe ça ? ».
Certainement,
dans la tête d'une vieille étudiante, un accordéon essoufflé –
une fausse note venait de retentir - s'accorde mieux avec l'image
d'un professeur débraillé. Et certainement, à l'université, les
phrases tortueuses et grises ont un meilleur effet philosophique. Les
jolies formules ne peuvent qu'être vides, publicitaires, surtout de
la part d'un penseur en col immaculé, jadis philocosméticien et
resté bel homme. Au-delà du style, le décor diffère aussi. Celui
d'un BHL au Café de Flore – très démodé de nos jours - qu'il
privatise aux grandes occasions pour inviter ses amis de marque,
stars du cinéma, de la politique et de la finance, nous éloigne de
l'université populaire de Caen où sévit Michel Onfray. Le
métropolitain ombreux sied mieux au professeur des universités qui,
mis à part ses pensées profondes, n'a rien d'intouchable. Il peut
même certains soirs se laisser inviter dans les chambres exiguës
d'étudiantes privilégiées, pour mieux transmettre... Alors,
philosophant dans le boudoir, maître des draps, son charisme prend
corps, et il est moins banal de faire son éloge.
RM
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