vendredi 20 février 2015

Le maître est l'autre nom du professeur de philo


J'étais assis une fois de plus dans le métro aérien ligne 6, lisant par bribes des aphorismes de Nietzsche, quand derrière moi un faible accordéon vint souffler un air populaire guilleret que je ne sus identifier. Il faisait beau dehors, le bleu de 13 heures promettait plus d'enthousiasme que la veille. Les étudiants croquaient leurs sandwichs dans ce février froid, avec des bonnets de couleur sur la tête. Me sont revenues quelques phrases élogieuses de cette amie en philo sur son professeur tellement charismatique. Ses yeux déjà très clairs demandaient à être éblouis, à admirer une maturité accomplie, faite de grands textes et de petits riens. A cet instant du métro où l'accordéon jouait, à cette même heure, pourquoi pas assise devant moi, elle aurait trouvé poétiques les sonorités folklo-kitsch de l'instrument se mêlant au cours du professeur qui résonnait encore dans sa tête. C'eût été un espoir de vibrations à l'ancienne dans le Paris du milieu du XXème siècle, bonnet ou béret sur la tête, manteau grosse laine, cultivant quelque innocence sur le trajet qui mène chaque matin du studio bordélique à l'amphi austère dominé par son orateur. Il aurait pu être là lui aussi, dans ce métro, tenant la barre graissée par les mains du peuple, avec son chapeau et son sobre trench, et rattrapant par sa pensée adroite toute la raideur de son corps.

Le dernier prof de philo que j'ai approché avait des pellicules visibles à trois mètres, et bien sûr les cheveux en bataille, de grosses chaussures, un jean trop court... et j'aimerais ne pas écrire « bien sûr » pour démentir le prototype de l'intellectuel négligé. J'aurais aimé que l'étudiante arrête à temps l'éloge de ce professeur, et m'épargne l'étalage de son désir de soumission. Je me souviens de cette jolie et inquiétante formule de BHL, « Le maître est l'autre nom du monde », titre du deuxième chapitre de La Barbarie à visage humain, essai controversé paru en 1977. Elle se retient facilement puisqu'elle est lyrique et musicale. Elle me revient dans les moments où j'y pense le moins, quand je fais la cuisine par exemple. C'est une idée intéressante, je trouve, de penser que le maître est un « idéal du moi » dont le centre est partout et la circonférence nulle part. En reprenant le concept de Freud pour penser le Pouvoir, BHL m'a plongé dans la psychanalyse. Il y a des correspondances secrètes... Mais non, comme prévu et maintes fois observé, dès que ces initiales furent prononcées, la belle s'est récriée, à la suite des détracteurs de 77 et des contempteurs des trois dernières décennies : « Il est inauthentique ce mec, c'est un philosophe ça ? ».

Certainement, dans la tête d'une vieille étudiante, un accordéon essoufflé – une fausse note venait de retentir - s'accorde mieux avec l'image d'un professeur débraillé. Et certainement, à l'université, les phrases tortueuses et grises ont un meilleur effet philosophique. Les jolies formules ne peuvent qu'être vides, publicitaires, surtout de la part d'un penseur en col immaculé, jadis philocosméticien et resté bel homme. Au-delà du style, le décor diffère aussi. Celui d'un BHL au Café de Flore – très démodé de nos jours - qu'il privatise aux grandes occasions pour inviter ses amis de marque, stars du cinéma, de la politique et de la finance, nous éloigne de l'université populaire de Caen où sévit Michel Onfray. Le métropolitain ombreux sied mieux au professeur des universités qui, mis à part ses pensées profondes, n'a rien d'intouchable. Il peut même certains soirs se laisser inviter dans les chambres exiguës d'étudiantes privilégiées, pour mieux transmettre... Alors, philosophant dans le boudoir, maître des draps, son charisme prend corps, et il est moins banal de faire son éloge.

RM



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